Obscurs éclats – à propos des tableaux photographiques de Valia Nicoltzeff par Anguéliki Garidis – Artmag
« Balade nocturne ou Féo et Dima au clair de lune… » (2022) par Valia Nicoltzeff
Un couple avance, de dos, dans un paysage désertique, où des arbres nus se détachent sur l’opacité du ciel. Un oiseau plane au-dessus des amoureux, qui semblent donner vie au sol craquelé qui les porte et se dirigent vers une lumière.
J’ai découvert Valia Nicoltzeff sur Facebook, il y a bientôt deux ans, à travers ses images égrenées avec parcimonie et discrétion. Si elles ont beaucoup évolué d’un point de vue technique, l’on observe une constante. Composées sur ordinateur à partir de photographies, par le biais, entre autres, de la surimpression, ses images – qui passent par le filtre de son imagination mélancolique pour créer des univers le plus souvent sombres, parfois traversés par des rayons d’espoir – touchent à toutes les blessures de notre monde qui s’effondre.
D’une grande sensibilité, elles sont souvent désespérées, comme cet « ange déchu » aux « ailes pulvérisées », accroupi, nu, sans défense, comme égaré devant la ville grise, dont le reflet est troué de noires béances[1] ou comme « l’homme-déchets », fantôme de nos capacités destructrices, ou encore comme ce « Narcisse aux déchets » nu lui-aussi, allongé devant une déchetterie géante – reflet de notre société superficielle génératrice de détritus – et qui se mire dans l’eau polluée. Dilution ou « pétrification », ou encore « effacement », à l’instar de ces femmes afghanes dissimulées sous leurs burkas, prisonnières de leur carcan de tissu, et qui pourtant tentent de résister, encore portées par l’éclat de leurs rêves.
Chaque image est un monde, ou une facette de ce monde. Reflet d’une terre d’après la catastrophe, vestiges de notre société industrielle baignée dans ses illusions et qui s’auto-détruit, paysage dominé par la mort où pourtant perce la lumière. Le crépuscule annonce l’aurore et la lune éclaire la part rêvée du monde.
Comme dans un temps arrêté, entre le passé miné et un futur possible, se manifestent l’amour ou la rêverie solitaire. Dans « Appel d’air », une petite silhouette apparaît dans un crépuscule lumineux ou une aube verte. Du glauque peut renaître la vie.
Tandis que notre monde s’écroule, une autre vie s’exprime, que ce soit à travers l’amour et sa lumière, ou par le biais de figures mythiques, comme celle du cheval, qui apparaît comme un leitmotiv dans les images de Valia. Presque disparu de nos sociétés motorisées, il surgit dans nos songes, tel un passeur. Animal psychopompe, intermédiaire entre les mondes, il devient passe-muraille, traversant les murs de la chambre du Rêveur. Pégase moderne, il hante les tableaux photographiques de Valia Nicoltzeff.
Vision d’une armée de pylônes électriques, qu’un homme accompagné d’un cheval blanc observe de loin, dans le travail photographique intitulé « Aux Vents Mauvais… ». Figures mélancoliques, romantiques désabusées, lointains échos des voyageurs solitaires qui apparaissent dans les tableaux de Gaspar David Friedrich.
Dans « Petit conte de la lune ordinaire », au-dessus d’un long mur où est inscrit l’Aleph, l’Alpha de l’anarchie, des oiseaux noirs ont envahi le ciel pâle. Une femme les regarde : « la fumeuse », ermite d’une métropole désertée, tandis que dans « Eloge de la lenteur », une silhouette avance dans un paysage flottant parsemé d’or qui se confond avec son reflet, comme un clin d’œil à un tableau du grand-père de l’artiste, Paul Maïk, peintre à la Ruche il y a un siècle, où arbres et silhouettes d’orants aux bras tendus vers le ciel se dessinent sur un paysage doré.
Entre visions de fin du monde et univers oniriques aux accents tarkovskiens baignés d’une lumière porteuse d’espérance et de beauté, l’art de Valia Nicoltzeff s’affirme et devient, d’une image à l’autre, toujours plus épuré. Humains rescapés du désastre et animaux songeurs résistent, avec une grande douceur, pour nous inviter à rêver.
Anguéliki Garidis
[1] Cet ange m’a rappelé, sans lui ressembler, l’ange aux yeux bandés et aux ailes brûlées ou irradiées, qui se déploie dans l’œuvre de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki, où il demeure immobile, impuissant, devant le désastre du monde.
L’ange déchu ou les ailes pulvérisées (2018) – L’Homme-Déchets (2018) – « Narcisse aux déchets… » (2021) – Effacement (2021) – « Appel d’air… » (2021) – « Le Rêveur » (2019) – « Aux Vents Mauvais… » (2021) – « Petit conte de la Lune ordinaire ou La Fumeuse… » (2022) – « Éloge de la Lenteur » (2021)