Valia Nicoltzeff

Le Loup des Steppes – (extraits) Hermann Hesse

« Au cours des années j’étais devenu un sans-métier, un sans-famille, un sans-patrie, je me trouvais en dehors de tous les groupes sociaux, seul, en conflit âpre et continuel avec la morale et l’opinion publique ; personne ne m’aimait, nombre de gens m’étaient hostiles, et, bien que je vécusse encore dans le cadre bourgeois, j’y étais, par ma façon de penser et de sentir, absolument étranger.
La religion, la patrie, la famille, l’Etat avaient perdu leur prix, je ne m’en souciais plus. Les prétentions de la science, des arts, des coteries, me répugnaient ; mes conceptions, mon goût, mon esprit, que j’avais jadis fait briller en homme bien doué et populaire, étaient maintenant négligés, saccagés, n’inspiraient plus aux gens que des soupçons. »
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« De même que toute force peut devenir une faiblesse, de même le suicidé typique peut, lui, faire de sa faiblesse apparente une force et un appui, et c’est ce qu’il fait très souvent…

… Ils connaissent tous la lutte contre la tentation de la mort volontaire. Chacun d’eux, dans quelques recoins de son âme sait fort bien que le suicide n’est qu’une sortie de secours piteuse et illégitime et qu’il est plus beau et plus noble de se laisser vaincre et abattre par la vie elle-même que par sa propre main. »

« L’accoutumance à l’idée que cette sortie de secours lui était toujours ouverte lui donnait de la force, le rendait curieux de goûter les douleurs et les peines… Il existe beaucoup de suicidés qui puisent dans cette idée des forces extraordinaires.

« En revanche, ce qui m’arrive dans mes heures rares de jouissance, ce qui m’est émotion, joie, extase et élévation, le monde l’ignore, le fuit, et le tolère tout au plus dans la poésie ; dans la vie, il traite cela de folie »